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En 2016, l’affaire avait fait fureur sur Twitter. L’agence Laforêt met alors en ligne une annonce précisant « attention, important pour la sélection des locataires : nationalité française obligatoire, pas de noir » pour un logement à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine) avant de la retirer en présentant ses excuses publiquement.
Ce cas révèle l’existence d’une discrimination aux logements qui reste cependant, en règle générale, de nature plus discrète et difficile à saisir clairement.
Une enquête réalisée en mai 2019 par SOS-Racisme a dénoncé la réalité des personnes non blanches lorsqu’elles cherchent un logement. Leur étude conclut qu’un actif d’origine ultra-marine ou subsaharienne a 40 % de chances en moins d’avoir un logement qu’un jeune actif d’origine française ancienne. Un jeune actif d’origine maghrébine a lui, 37 % de chances en moins.
De nombreux propriétaires et agences ont été épinglés pour avoir refusé le logement sous prétextes raciaux ou religieux. Ces décisions sont illégales mais les populations d’origine étrangère continuent d’en être les victimes. Les visites sont difficiles à décrocher et les contrats sont réservés aux populations d’origine européenne. Cela se traduit dans le paysage urbain. Exclus du logement privé, 28 % des personnes d’origine africaine se retrouvent dans des zones urbaines sensibles (ZUS), contre 6 % pour le reste de la population. Une ghettoïsation qui réduit leur mobilité géographique et les opportunités de travail qui s’offrent à eux.
Avec Pierre Philippes Combes, Benoît Schmutz et Alain Trannoy, nous avons enquêté sur la discrimination dans le marché locatif des biens immobiliers. Toutes choses égales par ailleurs, les individus d’origine africaine sont 26 % à se loger dans des logements sociaux et HLMs, contre 17 % pour le reste de la population ; c’est 9 points de pourcentage qui les séparent. Pour les auteurs, cette prépondérance peut s’expliquer de diverses manières. Soit ils ont une préférence pour les logements publics, soit ils y restent plus longtemps. Ou bien ils font face à une discrimination sur le marché immobilier privé.
Le racisme dans le marché privé n’est plus à prouver. Nous nous sommes donc penchés sur la raison de ces discriminations et renouvellent le regard porté sur la question.
Une discrimation contagieuse
Et si les propriétaires discriminaient pour satisfaire les voisins de palier racistes ? Cette forme de discrimination est particulièrement insidieuse car elle est motivée par des arguments économiques. L’acceptation de locataires d’origine africaine peut en effet conduire à la diminution de la valeur du logement en raison de la désaffection des personnes racistes du groupe majoritaire.
Mais comment identifier cette forme de discrimination ? L’idée consiste à comparer le comportement de propriétaires qui possèdent tout un immeuble à celui de propriétaires qui ne possèdent qu’un appartement. Un propriétaire qui possède plusieurs appartements dans le même immeuble a tout intérêt à ce que les locataires voisins y restent.
Ces derniers seraient moins enclins à emménager dans un immeuble où habitent déjà des étrangers. Et pire encore, ils seraient même capables de déménager. Une affaire qui n’arrangerait pas les propriétaires d’immeuble ! Ils auraient tendance à refuser plus facilement les populations étrangères afin de conserver un maximum de locataires.
C’est une enquête qu’il est possible de réaliser en France où, à la différence du reste des pays européens, une part considérable des immeubles appartiennent à une personne unique. Les propriétaires d’immeuble forment 40 % du total des propriétaires. Parmi eux, beaucoup sont aussi des personnes morales, en la qualité d’entreprises ou de sociétés. Ce phénomène perpétué par les logiques d’héritage contribue à renforcer les inégalités patrimoniales.
Racisme de palier
« J’ai toujours préféré aux voisins les voisines » chantait Renan Luce. Il n’a pas précisé leur couleur de peau… et l’analyse des économistes suggère un remix moins joyeux.
Si le racisme des voisins déteint sur les propriétaires qui ont plusieurs appartements, cela veut dire qu’il y a moins d’individus d’origines étrangères occupant des logements appartenant à un propriétaire d’immeuble. Dans ce cas, on peut supposer que le voisinage a un impact sur le choix du propriétaire. Pour le vérifier, les auteurs comparent deux groupes de locataires dans le parc privé des logements. Le premier est constitué d’immigrants d’origine africaine présents sur le territoire français depuis plus de quatre ans, et le second de personnes nées en France.
Pour faire cette hypothèse il faut s’accorder sur le fait que les propriétaires d’immeubles ne sont pas plus racistes que les propriétaires uniques. L’inverse pourrait biaiser le résultat. En exploitant l’enquête Patrimoine de l’Insee, nous montrons que les caractéristiques des propriétaires possédant plusieurs appartements sont très proches de celles des propriétaires n’en possédant qu’un seul.
Nous tenons compte de l’hétérogénéité des caractéristiques observables entre les deux groupes de locataires au travers de régressions et de méthodes d’appariement basées sur le score de propension. Ces méthodes consistent à homogénéiser les deux groupes en pondérant chaque individu de sorte à créer deux groupes aux caractéristiques semblables. Nous interrogeons notamment l’influence que peut avoir la géographie entre zone urbaine et rurale. Il est primordial de tenir compte de cette différence quand on sait que les propriétaires d’immeubles se situent plus en zone rurale alors que les populations d’origines étrangères habitent plutôt en zone urbaine.
Notre étude conclut que, toutes choses égales par ailleurs, les locataires d’origines africaines ont 15 % de chance en moins de trouver un appartement auprès d’un propriétaire qui détient un immeuble entier qu’une personne de nationalité française. Cette différence montre qu’au-delà des discriminations qu’ils peuvent subir par les propriétaires en règle générale, il existe une discrimination plus insidieuse qui est générée par les voisins.
Plus précisément, 39 % des locataires de nationalité française louent un appartement détenu par un propriétaire multiple, contre 33 % pour les immigrants africains. La différence de 6 points de pourcentage représente ainsi près de 15 % de la probabilité moyenne pour l’ensemble de la population. Elle est donc statistiquement significative. Cela signifie qu’une personne d’origine africaine à 15 % de chance en moins de trouver un appartement auprès d’un propriétaire qui détient un immeuble entier qu’une personne de nationalité française.
Ce chiffre ne représente donc qu’une partie succincte du phénomène de discrimination par le voisinage. En effet, nous n’identifions que la différence de comportements entre les propriétaires d’immeubles et les propriétaires d’un unique appartement. Il est tout à fait possible que ces derniers discriminent également les personnes d’origine africaine, mais avec une intensité moindre que ne le font les propriétaires d’immeuble.
Les locataires d’origine étrangère ont plus tendance à habiter dans un logement tenu par un propriétaire d’appartement unique. Ce serait donc le racisme sous-jacent des voisins qui, une fois anticipée par les propriétaires, pèserait dans la balance. De notre avis, cette dynamique est beaucoup plus insidieuse. Difficile à repérer, difficile à dénoncer, mener des politiques antidiscriminatoires contre ce phénomène s’avère particulièrement hasardeux.
HLM et banlieue ghettoïsée
Le marché locatif privé est si difficile à pénétrer pour les personnes noires que beaucoup se reportent ipso facto vers le parc HLM. Cela engendre une surreprésentation de populations d’origines étrangères dans les logements sociaux. Cet écart s’expliquerait en grande partie par la proportion des propriétaires d’immeubles.
La probabilité individuelle de résider en HLM est en moyenne de 15 %, mais elle monte à 35 % pour les personnes d’origine africaine. Lorsque l’on tient compte des différences de caractéristiques observables, l’écart est encore de 10 points de pourcentage. L’intégralité de cet écart résiduel s’explique par la proportion des propriétaires d’immeuble au niveau départemental !
La ségrégation urbaine, comme le racisme du voisinage, est aux frontières du visible. Mais ces logiques ont un impact concret et considérable sur le quotidien des discriminés. Concentrés dans des quartiers ségrégués, ils sont éloignés des centres dynamiques. Leur mobilité se réduit pendant que les disparités sociales s’accroissent. Notre étude met au jour un phénomène difficilement observable au premier abord. Elle pose la question des limites des politiques de lutte contre les discriminations et renseigne sur le racisme – invisible et pourtant lourd de conséquences – qui persiste au sein de la société française.
Cet article a été rédigé par Claire Lapique en collaboration avec Bruno Decreuse, et publié dans la revue « Dialogues économiques » de l’AMSE, l’école d’économie d’Aix-Marseille, en partenariat avec The Conversation France.
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Louise Desrosiers